Le pouls du peuple

 La Presse, 03-04-2012
Le dernier vendredi de chaque mois, l’Association tunisienne des études historiques organise au club culturel Tahar-Haddad une conférence sur le thème «Etre tunisien». Le choix a été porté, le 30 mars, sur l’expérience du Théâtre de la Terre que le dramaturge et metteur en scène Noureddine Ouerghi est venu présenter. Après des débuts et une expérience non négligeables à Jendouba, au Kef et à Aïn Drahem, le Théâtre de la Terre s’installe dans les années 90 à Tunis où il évolue différemment, tout en ayant son propre espace d’Art Ben Abdallah.
Ce théâtre qui chante à travers ses œuvres l’hymne de la Terre et la cause des paysans et des gens de la campagne est né là où il faut. Dès leurs premiers pas, Noureddine et Néjia Ouerghi, duo inséparable, ont adopté le concept de théâtre de «laboratoire». Ils ont même tenté de construire un théâtre en brique de boue à Aïn Drahem, en s’inspirant de l’expérience de l’architecte égyptien Hassan Fathy, qu’il raconte dans son livre «Construire avec le peuple». Leurs rêves se sont souvent heurtés à la censure. Ainsi, ce théâtre n’a jamais pu voir le jour. Bon nombre de pièces, que Nourreddine Ouerghi a écrites, n’ont pu connaître le chemin de la scène non plus. Le dramaturge et metteur en scène explique, dans la rencontre du club Tahar-Haddad, que le souci artistique du Théâtre de la Terre est d’adapter le rythme de l’écriture et des images poétiques à la mise en scène et de faire en sorte que le comédien devient lui-même le discours. Noureddine Ouerghi ajoute qu’il tient toujours à ce que les héroïnes de ses pièces soient des femmes. Elles sont parfois paysannes, d’autres fois institutrices en campagne. Le calvaire de ces dernières est raconté dans Ilayki ya mouallimati (A mon institutrice) où deux jeunes enseignantes d’école sont confrontées à la dure réalité de la vie à la campagne et sont victimes d’abus et même de viol. En en lisant un extrait, l’auteur veut avant tout montrer combien il lui tient à cœur de raconter les faits les plus choquants et les plus laids d’une manière poétique, la beauté du dialecte tunisien aidant. Sa fidélité à ce langage est sans faille. Et comment ! C’est celui des gens qu’il raconte. Ceux que l’on qualifie à tort de «simples». Noureddine Ouerghi nous raconte ce qui lui semble être le vrai visage d’un paysan, avec toutes ses contradictions, sans en faire un être parfait.
Des histoires vraies
En 1989, c’est la souffrance des habitants de Aïn Draham à chaque chute de neige qui est mise en scène. «Le sociologue en moi me pousse à faire des recherches avant d’écrire. Ainsi, toutes mes histoires sont vraies», affirme Noureddine Ouerghi. Quelques années plus tard, le Théâtre de la Terre emporte son expérience à Tunis où elle évolue pour embrasser des causes plus universelles. Cela donne des œuvres comme Mohamed Eddorra. Il n’empêche, la campagne reste le cœur battant du travail du duo Ouerghi. «C’est l’origine de toute poésie des textes dramaturgiques», ajoute l’invité du club Tahar-Haddad. En réponse aux questions des présents, il qualifie son théâtre de populaire, ou comme le dit Brecht et après lui Peter Brook «un théâtre élitiste pour tous».
Quant au club culturel d’Art Ben Abdallah, il accueille des œuvres théâtrales, dont Khira du Théâtre de la Terre, et organise des ateliers de formation pour jeunes comédiens. Noureddine Ouerghi se penche en ce moment sur l’écriture d’une nouvelle pièce. N’essayez pas de lui demander son sujet et n’essayez pas de le questionner sur la révolution. «Cela fait trente ans que j’écris sur la révolution», vous dira-t-il. C’est sûrement le cas quand on a écrit, parmi d’autres, en 1995, une pièce sur la révolution du pain, dont le titre n’est autre que le prénom d’une paysanne, Fajreya.
Narjès TORCHANI
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